« Pour moi, si je me sens à un tournant de ma vie, ce n’est pas à cause de ce que j’ai acquis, mais de ce que j’ai perdu. Je me sens des forces extrêmes et profondes. C’est grâce à elles que je dois vivre, comme je l’entends. Si aujourd’hui me trouve si loin de tout, c’est que je n’ai d’autre force que d’aimer et d’admirer. Vie au visage de larmes et de soleil, vie sans le sel et la pierre chaude, vie comme je l’aime et je l’entends, il me semble qu’à la caresser, toutes mes forces de désespoir et d’amour se conjugueront.
Aujourd’hui n’est pas comme une halte entre oui et non. Mais il est oui et il est non. Non et révolte devant tout ce qui n’est pas les larmes et le soleil. Oui à ma vie dont je sens pour la première fois la promesse à venir. Une année brûlante et désordonnée qui se termine et l’Italie ; l’incertain de l’avenir, mais la liberté absolue à l’égard de mon passé et de moi-même. Là est ma pauvreté et ma richesse unique. C’est comme si je recommençais la partie ; ni plus heureux ni plus malheureux. Mais avec la conscience de mes forces, le mépris de mes vanités, et cette fièvre, lucide, qui me presse en face de mon destin. »
Albert Camus, Carnets I. Mai 1935 – Février 1942.
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